Résumé du livre de
Alexandro Jodorowsky


La danse de la réalité



Mes parents savaient-ils ce qu’ils faisaient ? Certainement pas, dans leur inconscience ils me faisaient ce qu’on leur avait fait. Et ainsi, répétant le forfait émotionnel de génération en génération, l’arbre familial accumulait une souffrance qui durait depuis plusieurs siècles.

Avant toute chose, tu devrais avoir le droit d’être engendré par un père et une mère qui s’aiment, au cours d’un acte sexuel couronné par un orgasme mutuel, afin que ton âme et ta chair prennent racine dans le plaisir.
Tu devrais avoir le droit de n’être ni un accident ni une charge, mais un individu attendu et désiré de toute la force de l’amour, comme un fruit qui donne du sens au couple, lequel devient désormais une famille.

A partir du moment où cet univers te produit, tu as le droit d’avoir un père protecteur qui soit présent tout au long de ta croissance. De même qu’on donne de l'eau à une plante assoiffée, tu as le droit, quand tu t’intéresses à une activité, de te voir offrir le plus grand nombre de possibilités afin que tu te développes sur le sentier que tu as choisi.
Tu n’es pas venu réaliser le plan personnel d’adultes t’imposant des objectifs qui ne sont pas les tiens, le principal bonheur que t’autorise la vie est de te permettre de t’atteindre toi-même.

Tu devrais avoir le droit de posséder un espace où pouvoir t’isoler pour construire ton monde imaginaire, de voir ce que tu veux, sans que ton regard soit limité par des morales caduques, d’entendre ce que tu désires, même si ce sont des idées contraires à celles de ta famille.

Tu n’es venu réaliser personne d’autre que toi-même, tu n’es venu occuper la place d’aucun mort, tu mérites d’avoir un nom qui ne soit pas celui d’un parent disparu avant ta naissance. Tu as parfaitement le droit de ne pas être comparé, aucun frère, aucune sœur ne vaut plus ou moins que toi, l’amour existe quand on reconnaît l’essentielle différence.

Tu devrais avoir le droit d’être exclu de toute querelle entre tes parents, de ne pas être pris comme témoin dans les discussions, de ne pas être réceptable de leurs angoisses économiques, de grandir dans une ambiance de confiance et de sécurité.

Tu devrais avoir le droit d’être éduqué par un père et une mère guidés par des idées communes, ayant aplani entre eux dans l’intimité leurs contradictions. S’ils divorcent , tu devrais avoir le droit de ne pas être obligé de voir les hommes avec les yeux pleins de ressentiment d’une mère, ni les femmes avec les yeux pleins de ressentiment d’un père.

Tu devrais avoir le droit de ne pas être critiqué si tu choisis un chemin qui n’est pas dans les plans de tes parents, d’aimer qui tu veux sans avoir d’approbation, et quand tu te sens capable, d’abandonner le foyer et de partir vivre ta vie , de dépasser tes parents, d’aller plus loin qu’eux, de réaliser ce qu’ils n’ont pu réaliser, de vivre plus longtemps qu’eux. Enfin tu devrais avoir le droit de choisir le moment de ta mort sans que personne, contre ta volonté ne te maintienne en vie.

Le langage qu’on nous a enseigné transporte des idées folles. Au lieu de penser de façon correcte nous pensons de façon tordue,
au lieu de :
Il m’a déçu :
Je sais :
Beau, laid :
Tu es comme ça :


je l’imaginais de façon erronée
je crois
il me plaît , il ne me plaît pas
je te perçois comme ça


Il est absurde de définir en affirmant, affirmons en niant :
Bonheur :
Générosité :
Courage :
Force :


être chaque jour moins angoissé
être moins égoïste
être moins lâche
être moins faible


Voilà qu’ils étaient mariés et parlaient, sans s’en rendre compte, lui un langage elle un autre. Dans une conversation, une personne pensait une chose et, essayant de la communiquer, en disait une autre. Son interlocuteur entendait une chose, mais en comprenait une autre. En répondant, il ne répondait pas à ce que l’autre avait d’abord pensé, ni même à ce qu’il avait dit, mais ce qu’il avait compris. Total : une conversation de sourds qui ne savent même pas s’écouter eux-mêmes. Nous identifier aux difficultés en s’en faisant des alliés. Ne pas résister ou fuir le problème, le pénétrer, faire partie de lui l’utiliser comme élément de la libération.

Il faut se rendre compte que l’enfant en nous ne meurt jamais, que chaque être humain s’il n’a pas fait son travail spirituel, est un enfant déguisé en adulte. C’est merveilleux d’être un enfant quand on est un enfant, et terrible qu’à cet âge on nous oblige à être des adultes. Mûrir, c’est mettre l’enfant à sa place, le laisser vivre en nous, non pas comme maître, mais comme disciple. Il nous apporte l’étonnement quotidien, la pureté de l’intention, mais en aucun cas il ne doit devenir un tyran.

Je pense que l’on peut être un saint civil, la sainteté ne doit pas nécessairement être liée à la chasteté ou au renoncement du plaisir sexuel, base de la famille. Un saint civil peut ne jamais entrer dans un temple, ni même avoir besoin de vénérer un dieu ayant un nom et une image définis. L’homme a une conscience non seulement sociale, non seulement planétaire, mais également cosmique, ayant dépassé les intérêts exclusivement personnels, il doit être capable d’agir au profit du monde. Se sachant unis, les douleurs des autres sont ses douleurs, de même que leurs joies sont ses joies. Il sait aussi bien compatir et aider celui qui est dans le besoin, qu’applaudir le victorieux, à condition que celui-ci ne fût pas un exploiteur. Il faut être capable d’actes anonymes généreux. Il faut savoir que l’avenir de la race humaine dépend des couples capables d’établir une relation équilibrée.

L’acteur (de cinéma) doit se fondre totalement dans le personnage , se mentir à lui-même et aux autres, avec une telle maîtrise qu’il parvient à égarer sa personne. Dans la vie quotidienne, les citoyens dits normaux marchent déguisés, interprétant un personnage inculqué par la famille, la société ou bien qu’eux-mêmes s’étaient fabriqué, un masque de dissimulations et de fanfaronnades. Il faut comprendre que si on veut arriver à soi-même, il faut se dépouiller de cette lèpre qu’est la terreur de l’abandon et accepter la solitude pour, un jour être capable de parvenir à une union authentique avec les autres.

L’homme qui n’a pas réalisé sa liberté, c’est-à-dire qui n’a pas coupé les liens parentaux et ceux qui le connectent à sa famille et à sa terre, vit tout comme une charge sans savoir qu’il porte ce poids. Le début de la libération réside dans la capacité de l’homme à souffrir. Et celui-ci souffre s’il est opprimé, physiquement et spirituellement. La souffrance le pousse à agir contre son oppresseur en cherchant à mettre fin à l’oppression, au lieu de chercher la liberté dont il ne sait rien. Votre plus grand oppresseur, mes amis, c’est le moi individuel.

Une haute montagne empêchait, par son ombre, un village construit à ses pieds de recevoir les rayons du soleil. Les enfants grandissaient rachitiques. Un matin, les villageois virent le plus ancien marcher dans la rue, tenant une cuillère en porcelaine dans ses mains. Où vas-tu ? lui demandèrent-ils. Je vais à la montagne, répondit-il. Pour quoi faire ? Pour l’enlever de là. Avec quoi ? Avec cette cuillère. Les villageois éclatèrent de rire. Tu ne pourras jamais ! Le vieux répondit : Je le sais : jamais je ne pourrai, mais quelqu’un doit bien commencer.

Je ne suis pas capable de lire l’avenir, il me paraît inutile de le connaître alors que nous ignorons qui nous sommes ici et maintenant. Notre destin n’est pas prédéterminé par d’hypothétiques dieux…. Le chemin se crée à mesure que nous avançons, et chaque pas nous offre mille possibilités. Nous ne cessons de choisir. Mais qu’est-ce qui fait ce choix ? Il dépend de la personnalité par laquelle nous avons été formés dans notre enfance. C’est-à-dire que ce que nous appelons futur est une répétition du passé. Nous sommes marqués par l’univers psychomental des nôtres. Par ses qualités, mais aussi par ses idées folles, ses sentiments négatifs, ses désirs inhibés, ses actes destructifs. Le mal se transmet de génération en génération : l’envoûté devient l’envoûteur, en projetant sur ses enfants ce qui fut projeté sur lui, à moins qu’une prise de conscience ne parvienne à rompre le cercle vicieux.

Les petits ne perçoivent pas le temps comme les adultes. Ce qui pour les grands se déroule en une heure, ils le vivent comme si ça avait duré des mois, et cela les marque pour toute leur vie. Une fois devenus adultes, nous avons tendance à reproduire les abus que nous avons subis pendant notre enfance sur les autres, ou encore sur nous-mêmes. Si hier on m’a torturé, aujourd’hui je ne cesse de me torturer, devenant mon propre bourreau. On parle beaucoup des abus sexuels que subit l’enfance, mais on oublie les abus intellectuels (bourrer l’esprit de l’enfant d’idées folles, de préjugés pervers, de racisme, etc.), les abus émotionnels ( la privation d’amour, le mépris, les sarcasmes, les agressions verbales), les abus matériels (le manque d’espace, les changements abusifs de territoire, l’abandon vestimentaire, les erreurs dans l’alimentation, etc.), les abus de l’être (nos parents ne nous ont pas donné la possibilité de développer notre véritable personnalité, ils ont établi des plans en fonction de leur propre histoire familiale, nous ont créé un destin étranger, n’ont pas vu qui nous étions, ont fait de nous leur miroir, ont voulu que nous soyons autre.

Nous devons faire la paix avec notre inconscient, ne pas se rendre indépendant de lui mais en faire un allié. Si nous apprenons son langage, il se met à travailler pour nous. Nous devons le transformer en nous disant : cela, c’est ce qu’on ma fait, c’est ce que j’ai senti, c’est ce que l’abus produit aujourd’hui sur moi, c’est la réparation que je désire. Un arbre est jugé à ses fruits. Si le fruit est amer, l’arbre d’où il provient, même s’il est majestueux, est considéré comme mauvais. Si le fruit est doux, l’arbre tordu sur lequel il a été cueilli est considéré comme bon. Notre famille, passée, présente et future, constitue l’arbre. Nous sommes le fruit qui lui confère sa valeur. Pour dépasser une difficulté, il ne suffit pas de l’identifier ! Il faut que les gens agissent au milieu de ce qu’ils conçoivent comme leur réalité.

Conte bouddhiste:
Deux moines méditent au milieu de la nature ; de nombreux lapins entourent l’un d’eux, aucun n’approche l’autre. Celui-ci demande : si tous deux méditons avec la même intensité le même nombre d’heures chaque jour, pourquoi les lapins t’entourent-ils et pas moi ? C’est très simple, répond l’autre, parce que je ne mange pas de lapin, toi si !

L’angoisse la plus grande d’un être humain est celle de ne pas être aimé par sa mère, par son père, ou les deux. S’il en est ainsi, l’âme est marquée par une blessure qui jamais ne cesse de suppurer. Le cerveau, lorsqu’il n’a pas trouvé son centre authentique, lumineux, ce qui le maintiendrait dans un état d’extase continuelle, vit dans l’angoisse. Ne trouvant pas le vrai plaisir, qui n’est autre que celui d’être soi-même et non un masque imposé, il recherche les situations les moins douloureuses. L’être humain se paralyse, s’enferme dans un système répétitif de gestes, de désirs, d’émotions, de pensées, et végète dans ces étroites limites en refusant toute information nouvelle, soumis à une incessante répétition du passé. Pour fuir les profondeurs, il vit flottant dans un tissu de sensations superficielles, la plupart du temps anesthésié….

Un grand nombre d’êtres humains, rejetant leur différence naturelle, prennent l’apparence du monde qui les entoure. Ils s’interdisent le moindre trait d’originalité, mangent ce que tous mangent, s’habillent en suivant la mode la plus répandue, utilisent un accent et quelques tournures idiomatiques indiquant leur indubitable appartenance à un groupe social, font partie de la masse qui défile en brandissant le même livre rouge ou en faisant le même salut avec le bras tendu, ou en revêtant le même uniforme. Ils dépendent totalement de l’apparence, reléguant leur être aux opacités de leurs rêves.

Il n’est pas juste d’abandonner celui qui n’arrive pas à recevoir. En tant que société, nous sommes tous responsables de son mal. Il n’y a pas que l’arbre qui soit malade, mais la forêt tout entière. Cette chaîne de maladies, cette reproduction de maux de génération en génération doit cesser un jour. Il doit y avoir une manière de faire voir à celui qui n’a pas d’yeux, de faire entendre à celui qui n’a pas d’oreilles, de communiquer de l’amour à celui qui a fermé son cœur. A la base, toute maladie est un manque de conscience imprégné de crainte. Cette conscience a son origine dans un interdit, imposé sans conviction préalable, que la victime doit accepter sans le comprendre. On exige de l’enfant de ne pas être ce qu’il est. S’il désobéit, il est puni. La plus grande punition est de ne pas être aimé.

On nous inculque la peur du changement, nous maintenant à un niveau de conscience infantile où nous vénérons la sécurité toxique et détestons l’incertitude salutaire. Par tous les moyens, en s’appuyant sur des doctrines politiques, morales et religieuses, on nous fait ignorer notre pouvoir mental. Tous les systèmes, nécessaires à un moment donné, deviennent plus tard arbitraires. Nous avons la liberté de changer de système. La société est le résultat de ce qu’elle croit être et de ce que nous croyons qu’elle est. Nous pouvons commencer à changer le monde en changeant nos pensées.

Les mauvaises habitudes peuvent être instantanément abandonnées si nous cessons de nous identifier au passé. Le pouvoir du maintenant croît avec l’attention sensorielle. Il faut explorer le moment présent, aimer c’est être content de ce qu’on est et de ce que sont les autres. L’amour croît dans la mesure où la critique décroît.

Dans chaque partie se trouve la totalité tout entière. La plupart du temps nous nous mettons en colère pour une autre raison que celle que nous croyons, et nous demandons autre chose que ce que nous voulons.

Le moindre détail, douloureux, fait obstacle au développement général. Il faut comparer un problème considéré comme petit à un clou dans la chaussure. Bien que de taille réduite, il affecte la totalité de notre marche.

Le monde apporte une réponse à toute action que nous commettons. Ce que nous faisons aux autres, nous nous le faisons à nous-mêmes.

POEME:

Je ne sais où je vais, mais je sais avec qui je vais.
Je ne sais où je suis, mais je sais que je suis en moi.
Je ne sais ce qu’est Dieu, mais Dieu sait ce que je suis.
Je ne sais ce qu’est le monde, mais je sais qu’il est mien.
Je ne sais ce que je vaux, mais je sais ne pas me comparer.
Je ne sais ce qu’est l’amour, mais je sais que je jouis de ton existence.
Je ne peux éviter les coups, mais je sais comment les supporter.
Je ne peux nier la violence, mais je peux nier la cruauté.
Je ne peux changer le monde, mais je peux me changer moi-même.
Je ne sais ce que je fais, mais je sais que ce que je fais me fait.
Je ne sais qui je suis, mais je sais que je ne suis pas celui qui ne sait pas.